Interview avec Xavier Benoist, directeur général chez Bluescope et Président de la FINC

L'industrie en Nouvelle-Calédonie : entre résilience et diversification.

April 29, 2024
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1. Quel est l'état actuel de l’industrie en Nouvelle-Calédonie ? Ainsi que ces défis et opportunités ?

L'industrie de transformation joue un rôle crucial dans la croissance et la diversification de l'économie calédonienne. En Nouvelle-Calédonie, nous avons déjà une base solide dans ce secteur, ce qui nous place dans une position avantageuse pour le développement futur. Actuellement, nous travaillons sur un projet pour identifier les filières à soutenir, en particulier l'industrie alimentaire, compte tenu de nos ressources agricoles et agroalimentaires.

Son importance en Nouvelle-Calédonie est remarquable dans le contexte de l'outre-mer français et des États insulaires du Pacifique Sud. Nous devons capitaliser sur ce potentiel, car nous avons la capacité d'exporter nos produits vers d'autres régions du Pacifique. Contrairement à ce qui était traditionnellement pensé, notre capacité d'exportation ne se limite pas au nickel. Nous avons déjà réussi à établir des partenariats fructueux dans la région, ce qui a contribué à développer nos activités. L'industrie est un pilier de la stratégie France 2030, ce qui nous donne accès à des outils gouvernementaux pour accompagner notre développement.

Cependant, l'industrie de transformation en Calédonie est confrontée à des défis sans précédent, exacerbés par une double crise. D'une part, la crise métallurgique, et d'autre part, la crise du BTP, souvent négligée mais qui subit les conséquences de la situation actuelle. Cette industrie, bien ancrée sur le territoire calédonien, est fortement impactée par ces événements, comme le démontre une étude de l'ISEE. Les fermetures de mines des trois principaux métallurgistes entraîneront inévitablement des pertes d'emplois, tant directes qu'induites. Notre principale difficulté réside dans le manque d'outils pour y faire face. Contrairement à la crise Covid, où nous avions des ressources gouvernementales à notre disposition, nous devons actuellement nous débrouiller avec peu de moyens. La question du financement est cruciale, d'autant plus que nous manquons d'autonomie monétaire. Par exemple, la mise en place d'un régime de chômage partiel plus avantageux nécessiterait des ressources importantes, estimées entre 800 millions et 1 milliard de francs.

Le deuxième défi est d'assurer une issue favorable à cette crise, tant sur le plan institutionnel qu'économique. La solution ne peut être purement institutionnelle, elle doit être combinée à des mesures économiques et sociales. Il est impératif de repenser notre modèle actuel dans son ensemble. Malheureusement, nous manquons d'une stratégie de relance concrète, ce qui est un handicap majeur. Le forum Perspective de l'année dernière n'a abouti à aucune action opérationnelle, ce qui souligne notre incapacité à réagir efficacement. Nous devons saisir cette double crise comme une opportunité de repenser notre modèle, mais cela nécessitera une réflexion profonde et globale, sans se contenter de solutions temporaires. Piloter cette phase complexe sera un défi, mais c'est une étape indispensable pour surmonter les difficultés à venir.

2. Pouvez-vous nous faire une présentation sur Bluescope Acier et nous donner quelques chiffres clés ?

Bluescope, fondée en 1971 à Nouméa, compte 60 employés répartis entre une usine à Koné et une autre à Nouméa. Nous transformons de l'acier pour des applications dans le bâtiment, comme la toiture et le bardage, ainsi que pour des structures métalliques. Faisant partie d'un groupe international bien établi dans l'hémisphère sud, en Asie et aux États-Unis, nous détenons un capital avec une minorité de blocage calédonienne. Avec des filiales à Port Vila, Wallis, et deux à Fidji, nous développons également une nouvelle filiale en Polynésie française pour couvrir l'ensemble des États insulaires du Pacifique Sud. Nos matières premières proviennent de Nouvelle-Zélande, où l'acier est fabriqué à partir du sable noir, un élément rétrocédé aux populations maoris. Avec un chiffre d'affaires d'environ 2 milliards de CFP, nous nous distinguons par notre innovation, notamment avec des kits d'habitat comme des poulaillers ou des bungalows, très bien accueillis sur les territoires où nous opérons. Malgré les défis locaux, nous nous adaptons constamment pour maintenir notre agilité, notamment dans notre développement à l'exportation, qui représente 12% de notre chiffre d'affaires en janvier, soulignant ainsi son rôle crucial dans la croissance de notre entreprise.

3. Quels sont les projets phares sur lesquels Bluescope travaille actuellement ?

Nous avons actuellement deux projets de développement en cours. Tout d'abord, nous avons un projet à Koné et un autre à Nouméa. Comme nous l'avons déjà fait au Vanuatu, nous adoptons une approche d'investissement à contre-courant des tendances économiques. Dans le Nord, nous prévoyons d'étendre notre usine pour centraliser la fabrication de nos kits Habitat à Koné, avec une finalisation prévue dans les deux prochaines années. À Nouméa, nous construisons également une nouvelle usine pour améliorer la qualité de nos productions, de nos stocks et de notre chaîne d'approvisionnement, soutenant ainsi notre croissance future. De plus, nous prévoyons de créer une filiale en Polynésie française, avec un début prévu en 2024 et une finalisation en 2025.

4. Quelles sont les initiatives de responsabilité sociale d'entreprise mises en œuvre par Bluescope pour soutenir les communautés locales et préserver l'environnement ?

Nous nous engageons dans des actions à long terme, ancrées dans nos valeurs et axées sur la durabilité, en attachant une grande importance à nos liens avec les communautés locales avec lesquelles nous travaillons. Notre entreprise produit des produits durables, notamment de l'acier, entièrement recyclable. En Nouvelle-Calédonie, au Vanuatu et à Fidji, notre processus de transformation de l'acier à froid est peu énergivore. À Nouméa, nous compensons notre consommation énergétique avec des panneaux photovoltaïques, atteignant ainsi une quasi-consommation énergétique nulle. De plus, nous nous engageons à utiliser de l'acier vert provenant d'un four à arc électrique en Nouvelle-Zélande, dans le cadre de notre objectif d'atteindre un bilan carbone net zéro d'ici 2030. Notre produit en acier répond aux normes de construction océaniennes, est recyclable et s'adapte aux défis climatiques locaux, tels que les crues et les aléas climatiques.

Une autre valeur que nous mettons en avant est l'implication de nos employés, qui sont au cœur de notre valeur ajoutée. Nous avons mis en place plusieurs programmes pour nos employés, dont un projet de recettes de cuisine intitulé « De l'acier à l'assiette », qui sera publié en juin prochain. De plus, nous encourageons l'implication de nos employés dans des initiatives sociales, comme notre participation à la journée internationale contre les violences faites aux femmes, où nos employés ont organisé des ateliers pour sensibiliser à ce problème. Nous sommes attachés à la diversité de nos employés, représentant toutes les communautés et catégories socio-professionnelles, renforçant ainsi notre engagement envers l'inclusion et le respect des droits de l'homme. Enfin, nous soutenons des initiatives locales, telles que notre partenariat avec la société Envie, qui recycle des produits industriels pour créer des emplois pour les personnes en situation de handicap, illustrant ainsi notre engagement envers le développement durable et notre contribution à la société calédonienne.

5. Quelle est votre vision sur l'avenir industriel de la Nouvelle-Calédonie ? Comment voyez-vous l'industrie calédonienne dans les 5-10 prochaines années ?

Je crois fermement que l'économie calédonienne a un potentiel de développement énorme, même si nous ne sommes pas encore certains de la direction précise que cela prendra. Cependant, je suis convaincu que nous devons diversifier notre économie pour assurer notre avenir. Nous ne pouvons pas continuer à compter uniquement sur le nickel pour briller, même si je ne suggère pas d'abandonner complètement l'industrie métallurgique. Il est essentiel de diversifier nos activités et de montrer aux Calédoniens qu'ils ont les compétences et les ressources pour réussir dans d'autres secteurs.

L'industrie de transformation calédonienne jouera un rôle crucial dans notre résilience économique. Une étude de l'IEOM menée pendant la crise Covid a montré que l'économie était plus résiliente que d'autres territoires du Pacifique en raison de sa capacité à produire localement des biens essentiels comme l'oxygène, les masques et les produits agroalimentaires. Cela démontre clairement que notre industrie de transformation est un atout majeur pour notre résilience économique.

Dans dix ans, je suis convaincu que l’économie sera encore plus résiliente grâce au développement de son industrie de transformation, en complément de notre secteur métallurgique. En investissant dans ces secteurs, nous assurerons un avenir prospère et durable pour notre économie.

6. Quelle est votre message final aux lecteurs de Le Point qui envisagent la NC comme une destination potentielle d’investissement et/ou de tourisme ?

La Nouvelle-Calédonie est un territoire avec un immense potentiel de réussite. C'est un endroit incroyablement agréable, malgré ce que l'on peut parfois entendre sur les réseaux sociaux. Il est essentiel de venir sur place pour vraiment comprendre et apprécier ce que nous avons à offrir. Je suis convaincu que tous ceux qui nous rendront visite seront charmés et convaincus de notre potentiel lors de leur prochain séjour.

De plus, la Nouvelle-Calédonie s'intègre de plus en plus dans son environnement régional, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives. Nous ne sommes pas isolés sur notre île ; au contraire, nous tissons des liens avec nos voisins les plus proches, tels que l'Australie, la Nouvelle-Zélande et surtout le Vanuatu. Explorer des territoires comme le Vanuatu et Fidji est une expérience merveilleuse qui nous permet de découvrir un monde différent de celui que nous connaissons en Europe.